Revue de presse
Les Tablettes des Chanteroels
Feuilleton des Chanteroels Selon Flashy-Mike
LNA / Culture (12 Février 2007)
L’improbable tandem Richard Mutt/Flashy-Mike, propose une transcription des écritures couvrant les tablettes des Chanteroels qui diffère de celle que James Brayes avait achevée quelques temps avant sa disparition. On se souvient que pour Brayes, le contenu du texte est implicitement lié à la forme même de l’écriture qui, pour vernaculaire qu’elle paraisse, présente néanmoins des particularités graphiques extrêmement sophistiquées que Brayes apparentait à des jeux de mots/images, des «façons» sémiotiques héritées de la prétérition et des jeux de leurres.
Ce sont ces mêmes assemblages sémantiques qui, toujours d’après Flashy-Mike, seraient susceptibles d’erreurs. Certes, précise le jeune chercheur, Brayes avait raison de penser que c’était le besoin de répondre à l’appel de l’écriture qui avait à l’époque transformé le coeur sonore du langage parlé en images globales aléatoires. La réflexion et l’analyse de Brayes répondaient à des intuitions poétiques liées à l’idée qu’il se faisait de l’écriture et de son évolution, et ce n’est pas là son moindre mérite, mais des éléments aussi partiels ne suffisent à mon sens pas.
« La méthode que nous avons utilisée Richard Mutt et moi-même répond au contraire à une logique solide, construite avec l’aide de logiciels de décryptage certes classiques, mais dont les données-sources ont été élaborées, puis déclinées sur les mécanismes d’appréhension sensible de l’art contemporain. D’où des différences d’interprétations avec Brayes, et non des moindres, même si, sur le fond, les deux traductions du texte des Chanteroels participent d’un même mouvement, d’un même message global. »
Début du texte transcrit par Flashy-Mike
– En un jour qui fut le premier et en tous ceux qui suivirent, l’écriture se fit dessin.
– En un jour et en tous ceux qui suivirent, l’écriture se fit trace. Les lettres apparurent dans leur grandeur et leur nudité. Puis elles se gonflèrent afin d’être visibles et secrètes. Ainsi, la face blême des murs en fut emplie et ils eurent une âme. Enfin, elles furent illisibles à tous ceux qui ne les avaient pas créées, ainsi qu’à tous ceux qui leur accordèrent le mépris. Alors, les lettres se rassemblèrent et s’imbriquèrent, et, dans leur violence bigarrée, elles se reconnurent entre elles afin de crier les noms et les lieux de ceux que l’incurie avait jetés au ban des cités.
– Dans sa peur et son désir, l’écriture s’accrocha aux parois grises de géants d’acier, avant de quitter les remparts dans un tremblement infernal. Alors le temps s’effaça dans la vitesse et la griserie. Pour quelques instants.
– En mille blanches nuits, la tôle et le bois des chariots furent bariolés. Ainsi l’esprit de la poésie courut le long de voies de fer et, traversant les souterrains de velours, ses chevaux d’argent réveillèrent les campagnes engourdies d’ignorance bigote.
– En mille et un jours, les écritures laissèrent leurs empreintes sous les ponts de terres grises et les garde-fous hideux de leurs rocades.
– En mille et une nuits, elles couvrirent les façades aux regards crevés de palais désaffectés. Chaque jour fut volé à la nuit. Chaque nuit fut l’aube de mille poésies. Les écritures couvrirent les murs de plomb dans l’affolement lancinant des sirènes. Puis elles égayèrent ce qui restait du ciel visible et de la terre cimentée.
– Au milieu des vapeurs grisantes des aérosols, l’écriture devint alors la voix de celui qui traçait la rondeur de ses pleins et la fuyance de ses déliés. Ainsi, fut-elle le cri de reconnaissance de cet autre qui n’avait de visage que la cagoule qui le masquait. Et, pour chacun d’entre eux, la couleur de leur différence.
– Alors, puisque dans la violence de sa jeune force il en était ainsi une fois encore et pour toujours, l’écriture se brouilla et la face hâve des blocs et des barres de béton saturés de signes se fit hermétique. Les murailles maudites par l’esprit oublièrent jusqu’au nom des Ecrits. Le sable du désert se referma sur eux.
– Or, en ces mots que le vent n’aurait su porter jusqu’à nous tant le désert modèle à sa guise l’âme des hommes qui le parcourent et s’y égarent depuis des siècles, en ces lieux devenus au fil des temps le lieu de tous les temps, de tous les instants, se leva enfin le récit. Il était improbable et il était beau.
Début du texte transcrit par Brayes
– Au commencement était l’écriture.
– L’écriture était informe, les ténèbres couvraient la face de son mouvement car l’esprit était porté sur la parole toute nue.
– Or, il fut dit que l’écriture devienne belle.
– Alors, la lumière de l’esprit l’éclaira et la parole fut illuminée, ainsi l’écriture en fut emplie.
– A l’écriture, il fut donné le nom de poésie et à l’esprit le nom de rêve.
– Il fut dit aussi : que l’âme de la poésie naisse au sein de l’esprit et qu’elle en sépare l’écriture.
– Ainsi se firent les mots, et les mots furent séparés d’entre les mots. Et cela se fit. Alors les mots ainsi assemblés furent nommés phrases. Ainsi la parole fut fixée. Elle put se poser à la chute des vents.
– Il fut encore dit : que les mots courent sur la pierre et qu’ils s’assemblent en un seul lieu afin qu’apparaisse le récit. Et cela se fit ainsi.
– Aux pierres ainsi réunies fut donné le nom enfanté par le souffle du désert, les Ecrits. Ainsi, le silence de la nuit, l’immensité des jours, l’étendue sans fin des sables, le chant du Léviathan dans les abysses océanes furent gravés pour l’éternité sur la face de la pierre. Alors la pierre eut un secret et elle eut une âme. Il fut dit que cela était bon.
– Il fut encore dit : que l’écriture produise de l’esprit et que l’esprit porte en germe les graines de l’écriture. Ainsi naquit le chant des phrases ; et le chant se fit style. Puis le chant se fit mémoire. Il en fut ainsi.
– L’écriture produisit donc le style qui porte en lui la graine de l’esprit ; et l’esprit, la graine de la folie. Ainsi l’esprit de l’écriture et l’écriture de l’esprit portèrent la graine du vent en sommeil. La brise se fit rêve. Ainsi la folie put s’écrire sur la face de la terre.
– Alors il fut dit que le rêve et la folie ne faisaient qu’un. Ainsi, de l’esprit à l’écriture se fit l’enchantement des mots.
– Il fut aussi dit : que les mots soient taillés dans l’espace des écritures afin qu’ils séparent le rêve de la folie, qu’ils servent de signes pour marquer l’esprit du récit, que le récit appartienne à l’esprit et que les mots luisent sur le fond obscur des rêves ensevelis et qu’ils les éclairent. Il en advint ainsi.
– Alors naquirent deux grands corps poétiques, l’un plus grand pour présider au rêve, et il fut appelé esprit ; l’autre moindre pour présider à la matière, et il fut appelé récit. Alors l’écriture fut unie à l’esprit, et l’esprit à l’écriture.