Revue de presse
Les Tablettes des Chanteroels
Tablettes des Chanteroels – «Leurres de vérité…»
LNA / Culture (14 Juin 2006)
On se souvient qu’en septembre 2001, sur le lieu-dit les « Chanteroels » dans les Vosges d’Alsace, suite à la décision de la mairie de construire un lotissement, une pelleteuse avait mis à jour une série de tablettes mystérieuses. Des spécialistes du monde entier, linguistes, archéographes et philologues, avaient fait le voyage pour étudier la trouvaille. Les médias s’étaient lentement emballés et les théories les plus folles avaient fini par courir sur cette énigme. Des publications de toutes sortes et en toutes langues avaient fait la renommée et la fortune des villages environnants. Un courant philosophique et artistique était même né de cet engouement : le transversalisme. Jusqu’à aujourd’hui, personne n’était vraiment parvenu à déchiffrer le texte dont nous ne connaissons toujours pas les auteurs. Depuis lundi pourtant, suite à une conférence de presse donnée à la Sorbonne par le professeur Fostraul, nous savons qu’un tagueur de 26 ans, « Flashymike » pour les intimes, étudiant en informatique surdoué , a fini par décrypter la presque totalité de ces écrits.
Vous habitez dans le 9.2. Comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser aux tablettes des Chanteroels et, comment surtout, êtes-vous parvenu à en établir la transcription.
C’est un concours de circonstances. D’abord, il faut préciser qu’à l’origine, sous la houlette du professeur Mutt, je préparais une thèse sur les écritures iconiques en informatique. Pour ce travail, j’avais eu l’idée d’aborder la problématique mystérieuse de l’écriture tifinagh, une écriture très ancienne, très élaborée et dont on connaît mal l’origine. Gravée sur les roches bordant les pistes du Sahara, ces signes servaient de messageries aux nomades de l’époque, un peu comme on chatte aujourd’hui sur le net. Tour à tour, ceux qui passaient par là, laissaient un message, une indication utile, une déclaration d’amour ou de guerre, une mise en garde, etc.
Quel rapport avec les tablettes des Chanteroels ?
En dehors du fait que cette recherche m’a conduit à me rapprocher de R.Mutt et à le fréquenter très régulièrement, peu de rapport en réalité. Dès nos premières rencontres, Mutt s’est aperçu que j’avais toujours de la peinture sur le bout des doigts. Comme il s’en étonnait à chaque fois, j’ai fini par lui avouer mes activités nocturnes. De façon inattendue, ça l’a enthousiasmé. Il m’a montré des diapos de tags qu’il avait réalisées dès le début des années 80, et ce, dans plusieurs pays ! Il connaissait tout de l’historique des Tags, des différentes chapelles. Il parlait de rayure culturelle et était très attentif à l’évolution du phénomène. Il avait ses partis pris et se méfiait en particulier des esthétiques émergentes de certains pays: l’Allemagne et l’Italie, notamment. Nous en sommes très vite arrivés à collaborer étroitement. Comme de plus, je passe généralement mes vacances chez mes grands-parents qui habitent en Alsace, à Andlau, c’est-à-dire entre le site des Chanteroels et le « mur païen », je me suis pris au jeu et nous en sommes finalement venus à bout.
Que dit le texte ?
De façon poétique, le texte formule que le langage est un outil d’appréhension aléatoire. Séduisant mensonge, il fonctionne par jeux de leurres et serait appelé dans son développement ultime à véhiculer des vérités qu’il appartient néanmoins à chacun de trouver en soi…
Et pour ce qui est de la méthode de décryptage ?
Nous avons mis beaucoup de temps à comprendre que nous devions suivre nos intuitions. Cela aurait dû apparaître comme une évidence, car de fait, c’est toujours la première idée qui est la meilleure. Mais il faudrait être capable de l’accepter d’emblée.
Sans entrer dans les détails techniques, pouvez-vous nous en parler ?
Mon idée était évidemment liée à la pratique du tag et à l’utilisation de logiciels très particuliers.
Plus précisément ?
Le tag est un idéogramme extrêmement sophistiqué, en ce sens qu’il est d’abord une image composée à partir d’un alphabet. A la base, il s’agit donc de phonogrammes, autrement dit de signes qui représentent des sons. Mais dans le cas du tag, ces phonogrammes sont recomposés par contraction en signes idéographiques. Comme un idéogramme est, a contrario d’un tag, une image construite à partir de la représentation d’un objet, ou d’un stéréotype de la vie quotidienne, mon idée originelle était de transformer les constantes de signes inscrits sur les tablettes, en fréquences numériquement quantifiables. Puis, selon un système inverse aux tags, et un peu dans l’esprit du Post-structuralisme, j’ai cherché à « déconstruire » le texte pour, finalement, le recomposer en archétypes visuels, c’est-à-dire en idéogrammes.
Cela paraît complexe…
Pas tant que ça, d’abord parce que cette approche croisée entre archaïsme et modernité s’inscrit déjà dans l’appréhension globale du langage émergent, notamment tel qu’il apparaît en art contemporain; je veux parler de ce que l’on appelle parfois le « message induit ». Ensuite, parce que les logiciels de décryptage utilisés par tous les services secrets de la planète pour repérer et décoder les communications masquées fonctionnent plus ou moins de cette façon. Enfin et surtout, parce que j’ai vécu la chose comme un jeu !
Un jeu de leurres ?
Allez savoir…